mercredi, septembre 26, 2007

sarkozy: article du Parisien sur Marc Salomone

L’homme de la semaine
Marc Salomone, qui poursuit le président


LES NUMÉROS du « Canard enchaîné » s’empilent dangereusement sur la table à quatre sous faisant office de bureau. Les dossiers s’amoncellent sur les étagères, à même le sol, près de l’ordinateur, à côté de la corbeille à papiers débordante de détritus. Chez Marc Salomone, l’homme qui s’en prend judiciairement — au président de la République, on nage dans la paperasse, le désordre et la confusion. Curieusement, une impression de cohérence se dégage pourtant de ce capharnaüm. Et c’est avec une certaine méthode qu’il mène son « combat citoyen » contre Nicolas Sarkozy. En déposant une plainte sur les conditions d’acquisition de l’appartement de l’ancien maire de Neuilly (Hauts-de-Seine), Marc Salomone est à l’origine d’une enquête préliminaire du parquet de Nanterre. C’est lui, cet homme de 57 ans au teint brouillé, enfermé dans sa solitude, qui « agit » contre le président de la République.
« Les Français se plaignent mais ne font rien.
Je m’autorise à penser qu’un gars qui commet des actes dépassant l’abus de pouvoir, des actes criminels, doit en répondre. » Fut-il président de la République. S’il devait être établi que les conditions d’acquisition de l’appartement de Neuilly sont contraires à la loi, il n’y aurait rien de « criminel », mais des infractions seulement délictuelles.
Peu importe la nuance pour Marc Salomone qui n’est « pas un juriste » tout en étant « très sensible aux questions juridiques. » Pas question néanmoins de devenir « spécialiste » de la procédure. A moins « d’aller étudier à la faculté », explique-t-il, attablé à son bureau de fortune, élément central de la pièce principale de son deux-pièces du XXe arrondissement de Paris. Mais, le but n’étant pas de « se substituer aux magistrats », les sites de droit accessibles
sur Internet suffisent. D’ailleurs, jugée irrecevable, sa plainte avec constitution de partie civile avait été retoquée par le doyen des juges d’instruction de Nanterre.

«J’ai été heureux dans la rue »

Une irrecevabilité qui l’arrange. Ce type de plainte nécessitant le dépôt d’une consignation de 1 000 E, Marc Salomone aurait été sacrément dans l’embarras. La tenue de son logement atteste de la légèreté du compte en banque, sa tenue vestimentaire des fins de mois difficiles. Qu’importe, « j’ai un appartement très agréable et je suis heureux partout », sourit-il du coin des lèvres. On peine à croire que sa vie de galère fut formidable. Pourtant il insiste:« Si, si, j’ai été heureux dans la rue. » La rue où il a échoué en 1992, après une profonde dépression et la ruine. Eduqué par une mère fonctionnaire dans le sud de la France, Marc Salomone étudie la philosophie à l’université. Après la licence, il met fin à son cursus et s’installe comme « artisan dans le nettoyage ». Les années s’égrènent dans la petite entreprise de nettoyage. En 1987, sa vie bascule. « J’ai été violé par des hommes », lâche Marc Salomone. Il plonge dans « la dépression pendant cinq ans ». « Suite à ce viol, j’ai tout perdu. »

Sans le sou, il échoue sur les trottoirs de la capitale, annexe « un coin » des quais de la gare Saint-Lazare, près des colis postaux. La manche pendant deux ans, les foyers où il refuse d’aller, les « rendez-vous du soir » aux restos du coeur. « Si je puis dire, c’était la bonne époque de la rue, avec la mise en place des centres d’hébergement et les trucs de Coluche. » Un député« de droite », «paradoxalement » souligne cet « homme de gauche », le sort de la galère en lui trouvant une chambre.

Un long « combat contre le pouvoir judiciaire »

Peu à peu, Marc Salomone refait surface, reste sans emploi pendant cinq ans puis gagne sa vie en faisant l’homme de ménage quelques heures chaque soir. Le reste du temps, il écrit au procureur, alimente son blog abondamment nourri des courriers adressés aux autorités judiciaires. On y retrouve les étapes de son « combat » contre ce « pouvoir judiciaire qui a pris fait et cause pour ceux qui l’ont violé », selon ses affirmations. Son agression ne donnant lieu à aucune poursuite, il se bat dans une autre sordide affaire concernant le viol d’handicapés mentaux, s’acharne en espérant être entendu.

Au moins, son initiative contre Nicolas Sarkozy donne un écho à toutes ses démarches contre « ce pouvoir judiciaire » qui l’aurait ignoré. Une certaine satisfaction perce alors dans son discours, toujours argumenté. « Le procureur aurait pu clore le dossier après ma demande d’enquête judiciaire. Il ne l’a pas fait. »
J’ai été interrogé à la brigade de répression de la délinquance économique. » Car après le rejet de sa plainte devant le juge d’instruction, Marc Salomone a sollicité le procureur de Nanterre, Philippe Courroye, pour lui demander l’ouverture d’une enquête préliminaire. Le magistrat avait confié aux enquêteurs le soin de traiter la plainte de Marc Salomone, dont on pourrait se demander s’il agit pour le compte d’une quelconque organisation politique. Mais non, c’est « le citoyen » qui se bat, résume l’intéressé. « Mon originalité n’est pas le combat judiciaire. Mon originalité, c’est que j’insiste. »

Valérie Mahaut




POUR
« N’importe quel citoyen a intérêt à agir »
CHRISTIAN ETELIN, avocat à Toulouse

A partir du moment où, de façon sérieuse, il est démontré que des hommes publics, élus par le peuple, bénéficient d’échanges de bons procédés, et qu’on peut les soupçonner de trafic d’influence, n’importe quel citoyen a intérêt à agir. Parce que si l’enquête préliminaire démontre qu’il y a bien eu des malversations, c’est souvent sur le compte des deniers publics que ces malversations ont eu lieu, et c’est l’argent des contribuables qui a été dilapidé. Les citoyens lambda sont aussi des contribuables. A ce titre, n’importe qui peut demander des explications, et a même intérêt à faire fonctionner l’institution judiciaire. Dans le cas de monsieur Salomone, l’enquête préliminaire déterminera si sa démarche était fondée. »

Propos recueillis par A.-C.J.


CONTRE
« La dénonciation a un effet pervers »


DENIS SALAS, magistrat et chercheur*

ANS commenter l’action de Marc Salomone, il me semble fondamental de rester très prudent quant à l’usage de l’arme pénale, et notamment de la dénonciation. Il me paraît dangereux de faire de la saisine du juge une action populaire, c’est-à-dire de l’ouvrir très largement à n’importe quel citoyen, sans qu’il n’y ait aucun filtre, au risque d’aboutir à ce que j’appelle le populisme pénal. La dénonciation a un effet pervers. Il suffit de regarder le nombre de celles qui ont ruiné la vie de certaines personnes. Combien de dénonciations se soldent par un non-lieu ! Mais le mal est fait, puisque l’accusation, une fois rendue publique, reste comme une souillure. »

Propos recueillis par A.-C.J.

* Auteur de « la Volonté de punir : essai sur le populisme pénal », Hachette Littérature.
DIMANCHE 23 SEPTEMBRE 2007


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PARIS (XXe), VENDREDI. Marc Salomone, 57 ans, est à l’origine d’une enquête préliminaire du parquet de Nanterre concernant les conditions d’attribution de l’appartement de Nicolas Sarkozy à Neuilly. (LP/GUY GIOS.)

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